Par Chandler Stevens
– Fondateur de
The Ecosomatics Institute
Je parlais récemment avec un ami et nous sommes tombés sur cette phrase :
« Le long traumatisme de la négligence »
Qu’imaginez-vous que votre corps – d’une patience sans âge – ait enduré au fil des ans ?
Pour les besoins de cet article, vous pouvez imaginer que votre esprit conscient est le souverain du royaume du corps. Votre règne dépend de la coopération – ou du moins de l’obéissance – des habitants de ce domaine. À tout moment, un soulèvement peut vous détrôner. Un spasme du dos ou une crise d’angoisse pourrait faire s’écrouler le château, et aucune volonté ne pourrait le maintenir en place.
Quel genre de souverain avez-vous été ?
À quelles parties du royaume vous êtes-vous consacrés ? Quelles parties ont vu leurs demandes et leurs prières tomber dans l’oreille d’un sourd ? Quelles sont celles qui ont menacé de se révolter pour être écrasées d’une main de fer ? Si le royaume était assiégé, quelles parties viendraient à votre aide et quelles parties accueilleraient volontiers la perspective d’un nouveau souverain assis sur le trône ?
Imaginez que vous « envoyez » votre conscience à travers vous-même, que vous montez sur votre cheval et que vous parcourez les terres… Quelles histoires entendriez-vous en vous arrêtant auprès des habitants ? Quelles histoires ont été perdues ?
Le corps parle clairement lorsqu’il s’agit de punition active. Il crie lorsqu’il est poussé à bout et fait tomber le souverain qui taxe injustement le royaume. En revanche, la négligence passive est un fléau qui se répand lentement. Elle se manifeste sur un laps de temps beaucoup plus long.
Les semaines se transforment en mois, puis en années et en décennies avant que le long traumatisme ne se fasse sentir.
Il se peut que nous quittions enfin le château et que nous nous aventurions dans le royaume pour découvrir que les fils et les filles du pays ont été terrassés avant l’heure, victimes impuissantes et malheureuses d’un fléau auquel elles n’ont pas pu survivre.
Que faisons-nous alors de leurs pertes ?
Allons-nous fouetter les survivants dans une frénésie de compensation ? Osons-nous les punir pour notre propre négligence ?
Prenons-nous le temps de nous nous rendre humble et de pleurer avec ceux qui restent ? Est-ce que nous commémorons les deuils que nos royaumes ont endurés ?
Comment honorons-nous les capacités que nous avons perdues, les parties de nous-mêmes que nous ne retrouverons peut-être jamais ?
Comment faisons-nous la paix avec notre propre disposition à l’abandon ? Comment concilier nos fautes sans renverser violemment l’ancien maître ?
La croissance appelle la réconciliation.
Si nous la souhaitons pour nous-mêmes, nous devons prendre le temps d’écouter les parties de nous qui ont souffert. Nous devons entendre les histoires et exprimer les doléances de ces parties de nous-mêmes qui ont porté le plus lourd fardeau de notre règne.
Comment faire autrement pour apporter la paix au royaume ?
Au cours des derniers mois, alors que je travaillais à rééduquer ma vision, je me suis souvent senti envahi par le chagrin. Je pense à tout ce qui est passé devant moi sans être vu. Je pense à la myriade de joies que j’ai manquées à cause de la petitesse de ma vision. Je pense à combien mon expérience de la vie s’est rétrécie et je pleure ces années de vision claire que je ne peux pas récupérer.
Simultanément, j’éprouve de la gratitude pour ce qui m’est encore accessible, de même que pour les progrès que j’ai pu faire pour retrouver ma vision grâce aux soins. C’est comme si je regagnais la confiance d’un animal blessé… Cela se passe par à-coups, à un rythme que je ne peux pas contrôler. Mais semaine après semaine, mois après mois, il y a du progrès.
J’ai entendu récemment une phrase de Francis Weller, disant que « le travail de la personne mature est de porter le chagrin dans une main et la gratitude dans l’autre et de se laisser étirer par eux ».
N’est-ce pas là le travail du corps ? Notre travail n’est-il pas de faire le point sur les gains et pertes de nos vies et de ne pas être défini uniquement par l’un ou l’autre ? N’est-ce pas par ce travail difficile que nous parvenons à apprécier la plénitude de nous-mêmes, qui n’est limitée ni par les « possibles » ni par les « impossibles » de notre vie ?
Faites le deuil de ce que vous vous êtes faits à vous-même. Pleurez ce que vous avez fait au monde. Pleurer, oui, mais ne laissez pas le chagrin vous consumer, car, même maintenant, vous avez la possibilité d’entrer en relation avec la chair et la substance de votre personne. Même maintenant, il y a une possibilité d’y trouver de la grâce.
A bientôt,
Chandler
–Traduit de l’anglais par Camille R.
Formé en tant que thérapeute corporel et Doula de fin de vie, ainsi qu’à la pensée systémique et à l’éducation somatique. (Et aussi ancien chercheur dans la protection de l’environnement). Chandler Stevens développe actuellement une approche « du bas vers le haut » du développement psychologique par le mouvement et la conscience corporelle en psychologie clinique.
Expert dans l’exploration des liens entre le corps, l’esprit et l’environnement dans lequel nous évoluons. Plus d’infos ici.